Le cancer au temps du « Corona »

« Attendez… vous êtes en train de me dire que j’ai un cancer ?
- … OUI… »
Voilà comment cela a commencé pour moi.
Le diagnostic…
Bon ce n’est pas tout à fait vrai… tout commence l’hiver de mes 31 ans quand, avec une tension dans mon sein droit qui me gêne, je décide de consulté ma sage femme…
Mais tout au long des examens, je ne songe pas du tout à ce mot… ce mot n’est jamais prononcé, si ce n’est par ma sage femme qui, compte tenu des cancers dans ma famille, me dit qu’il vaut mieux s’assurer que ce n’est rien.
Voilà, je passe de consultation, en mammo, en biopsie, en me disant que tout ce zèle commence à bien faire et que j’en ai assez d’attendre avant que l’on me prescrive enfin des antibiotiques !
Donc, je suis là, 2 semaines après mon rendez-vous avec ma sage femme (j’estime qu’elle m’a sauvé la vie et je ne l’en remercierais jamais assez), devant ma nouvelle gynécologue qui me parle de carcinome infiltrant… je la coupe et lui pose cette fameuse question qui changera ma vie à tout jamais :
« Attendez… vous êtes en train de me dire que j’ai un cancer ?
- … oui… »
…Et après ?
Les examens s’enchainent ensuite à une vitesse phénoménale. Mes parents et mon conjoint me conduisent à tous ces rendez-vous inédits pour moi, alors, banal aujourd’hui.
Si vous me lisez vous devez probablement être autant familiarisé que moi à tous ces mots qui n’existaient pas d’antan… onco-fertilité, onco-génétique, pose du PAC, TEP SCAN, métastase...
2 semaines encore après que le mot ne soit posé, me voilà à ma première chimio. Me voilà avalant mon tout premier anxiolytique.
Pendant que mon corps se bat bec et ongles, mon esprit sombre. Je veux être forte, je veux ressembler à toutes ces femmes que je vois dans les magazines et sur les réseaux sociaux. Celles qui sortent grandi de leur cancer, celles qui saisissent cette opportunité pour transformer leur vie en quelque chose de mieux.
Mais je n’y arrive pas, j’ai mal. J’ai mal au ventre, j’ai mal au cuir chevelu, j’ai mal à la peau, j’ai mal à l’âme.
Alors, en système d’autodéfense, j’oublie, la vie suis son cours, pendant les quelques jours de répits (je vais en chimio toutes les semaines), il m’arrive d’être bien. De l’extérieur, j’ai l’aire forte ! Il n’en est rien… j’ai simplement oublié. Puis le mot me rattrape « mais en fait, j’ai un CANCER ».
Et j’oublie de nouveau.
Arrive le Covid…
Je m’invente une routine.
J’ai du temps enfin ! Alors j’en profite. Je vais voir mes parents, je vais voir mes amies, je vais au cinéma. La vie semble presque douce au début de ce printemps 2020…puis v’là la tuile. Le « coronavirus »... ils disent qu’on craint rien, ils disent que le masque est inutile, ils disent que nous ne confineront pas…
Mon équilibre à peine trouvé s’effondre, plus de famille, plus d’amies, plus de cinéma. Juste moi, mon conjoint, mon fils de 3 ans et les chimios.
Mon fils ne sait pas jouer seul. Je deviens camarade de jeu à plein temps afin d’éviter d’abuser des écrans.
Je m’épuise.
Les chimios deviennent mon salut. Une journée de pause ! Loin des jeux et de mes 4 murs ! Je discute avec d’autres personnes. Je me fais une copine d’une autre malade qui a seulement 2 ans de plus que moi (combien sommes nous, si jeunes…spoiler alerte…beaucoup plus que ce que l’on veut croire).
Mon esprit qui commençait à remonter la pente dans une routine ultra calibrée avant le confinement plonge. Je pleure, je pleure… ça peut arriver à tout moment. Mon fils ne s’en inquiète même plus, ça devient banal.
Je ne veux pas de ça. Je veux être forte !!! Je ne veux pas qu’on mon bébé soit le témoin des ravages du cancer. J’ai réussi à rendre normale ma coupe de 7 mm, j’ai réussi à rendre intéressant et non effrayant la petite bosse sous ma clavicule. Je ne veux pas rendre banal la détresse dans le foyer.
J’appel la psychothérapeute du service. Je pleure encore. Je prends rendez-vous avec mon médecin traitant. Antidépresseurs. J’ai honte. Je me dis que je ne suis pas forte. Que j’ai besoin de médicaments pour tenir alors que tant de femmes sont fortes et puissantes face au cancer. Puis ma thérapeute m’explique que savoir demander de l’aide aussi vite, c’est une force et « quand on a la jambe cassé, on à besoin d’une béquille, quand on a mal à la tête, on a besoin de paracétamol, quand on a l’esprit cassé et douloureux, pourquoi serait-ce anormal de se soigner ? ».
Et enfin la résilience
Je remonte la pente, je dessine beaucoup. Je n’avais plus dessiné depuis des années… pas le temps… je me remets à écrire également. J’y prends plaisir. Je ressens le besoin de partager un peu mes créations. Je n’avais jamais osé…j’ai peur.

Je créé mon compte Instagram, « y_a_plus_k » car « il n’y plus qu’à se battre pour qu’il n’y ai plus de K ». Incroyable, déjà 30 abonnés et ils apprécient mes dessins ! Puis 2 petits personnages que j’ai inventé au détour d’un dessin qui n’était qu’un petit doodle initialement, reviennent, encore, et encore. Voilà que je me prends de passion pour eux, j’ai envie de raconter leur histoire. Mon histoire. Giorgio et Mani, mes seins.
Giorgio est le sein droit, le sein malade. Mani est le gauche, l’observateur…moi.
Raconter leur histoire me fait tellement de bien et dessiner, écrire est tellement salvateur pour moi. Je n’arrive plus à m’arrêter. J’ai aujourd’hui acheté une tablette graphique pour créer et…pour peut-être…réaliser un rêve d’enfance ?...
…
Aujourd’hui, je n’ai plus qu’un seul sein, je suis sous anticorps pour un temps indéfini (infini…), je suis sous hormonothérapie, j’ai mal… j’ai mal à la cicatrice, j’ai mal au bras droit, j’ai mal aux articulations, j’ai mal aux muscles… Mais je n’ai plus mal à l’âme. J’avance, et je n’arrêterais plus d’avancer. Je suis devenue cette femme forte que je voulais tant être. Ce que je ne savais pas. C’est qu’on ne le devient pas du jour au lendemain. Et qu’elle craque encore cette femme. Bien sûr ! C’est une humaine.

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